Tribune publiée dans le Monde par 4 responsables du Collège des sociétés savantes académiques de France (CoSSAF) sur la création et les missions d’un conseiller scientifique auprès du gouvernement, à partir de la prise de position de 31 sociétés membres dont la Société Française de Physique.
“La mission exclusive d’un conseiller scientifique du gouvernement doit être de renforcer le poids des connaissances scientifiques dans la décision publique”.
La simultanéité des crises économiques, sociales, environnementales et sanitaires qui frappent le monde interpelle et force à la réflexion. Pas seulement sur notre impréparation, notre amnésie ou la lenteur de nos réponses collectives. Certainement pas en pointant du doigt les pilotes aux manettes pendant les périodes les plus compliquées.
Car ces crises se sont construites sur des décennies, malgré les alertes. Elles nous obligent à repenser les déterminants de l’action publique pour que le long terme cesse d’être sacrifié sur l’autel du court terme. Comprendre la succession des vagues de SARS‑CoV‑2, établir le rôle de l’humanité dans les dérèglements climatiques et l’effondrement de la biodiversité ou documenter le creusement des inégalités sociales, voilà quelques sujets sur lesquels les sciences humaines, sociales, expérimentales ou technologiques établissent des constats objectifs et donnent des outils pour l’avenir. Si la sphère scientifique n’a pas vocation à se substituer à la sphère politique, elle peut néanmoins fournir une lanterne lorsque la société avance à tâtons.
Encore faut-il pour cela que ces deux sphères, traditionnellement plus éloignées que les sphères politique et économique, se rencontrent. Les gouvernements de certains pays se sont ainsi dotés d’un “conseiller scientifique en chef”, un ou une scientifique de haut niveau dont la mission à plein temps est d’établir une proximité quotidienne entre les milieux académique et politique et de créer entre eux une relation de confiance exigeante.
Cette personnalité s’appuie sur la communauté académique pour définir un champ des actions possibles compatibles avec l’état des connaissances scientifiques et en expliquer la pertinence aux responsables politiques et au public. Pour garantir l’indépendance de sa parole, elle n’est pas intégrée à l’exécutif et ne prend pas part aux décisions, qui reviennent aux responsables politiques. Ce positionnement contraste avec celui des conseillers ministériels ou présidentiels français, personnages de l’ombre intégrés à la prise de décision, et avec le “Haut-conseiller à la Science” proposé dans le rapport Gillet, dont la mission principale porte sur la politique nationale de recherche.
Une trentaine d’associations du Collège des sociétés savantes académiques de France ont récemment proposé de créer un poste de conseiller scientifique du gouvernement français avec quatre missions principales.
La première est d’être l’ambassadeur des sciences auprès du gouvernement et rappeler inlassablement les données factuelles aux ministres pour les encourager à agir dans le respect de l’état des savoirs scientifiques.
La seconde est de donner aux administrations centrales et territoriales les moyens de mettre en œuvre, de manière concertée, ces politiques informées par les sciences. La création de conseillers scientifiques au sein de chaque ministère et de chaque région et leur mise en réseau sont pour cela capitales. Ce dispositif sera d’autant plus efficace que la présence – particulièrement faible en France – de scientifiques au sein des administrations sera renforcée.
La troisième est de lutter contre la désinformation et les théories complotistes en améliorant la compréhension des démarches scientifiques par le public. Le conseiller incarnera dans les médias un référent impartial pour l’ensemble des sciences technologiques, humaines et sociales. Il s’attachera aussi à assurer la disponibilité d’une information scientifique de qualité, en améliorant notamment la formation aux sciences des journalistes et le soutien au secteur de la médiation scientifique.
L’humanité étant confrontée à des défis planétaires, la dernière mission vise à assurer stabilité dans le temps et visibilité à la représentation de la France dans les structures internationales de concertation scientifique.
Le succès de ces missions dépendra de la légitimité scientifique, de l’indépendance, de l’impartialité, de la non-instrumentalisation et de la visibilité publique des avis. Créer une autorité administrative indépendante, pouvant s’auto-saisir, assurerait le respect de ces principes tout en assurant les moyens humains nécessaires et la pérennité du dispositif au-delà de l’actuel mandat présidentiel. La placer auprès de la Première ministre assurerait une relation de proximité, dans le feu de l’action, avec toutes les strates ministérielles et territoriales. La légitimité et l'acceptation des avis émis seront d’autant plus fortes qu’ils seront collégiaux, le ou la conseillère étant porte-parole d’un conseil scientifique interdisciplinaire permanent. Enfin, sa mission exclusive doit être de renforcer le poids des connaissances scientifiques dans la décision publique. La proposition du rapport Gillet de confier à un “haut-conseiller à la science” une mission stratégique dans l’organisation de la recherche nous semble préjudiciable car elle affaiblit le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
Pour finir, la mise en place de ce dispositif de conseil conduira nécessairement à repenser les contours et l’articulation entre les structures de conseil actuelles, aussi nombreuses qu’insuffisamment écoutées, pour les rendre plus visibles et efficaces.
Patrick Lemaire, biologiste, président du Collège des sociétés savantes académiques de France
Florence Hachez-Leroy, historienne, vice-présidente du Collège des sociétés savantes académiques de France
François Massol, écologue, administrateur du Collège des sociétés savantes académiques de France
Guy Wormser, physicien, vice-président du Collège des sociétés savantes académiques de France
Article posté le 07/12/2023