Publications scientifiques : le Plan S – kézako ?

Le 4 septembre 2018, une coalition de 11 grandes agences de moyens scientifiques à travers l’Europe, dont l’ANR en France, a publié un plan ambitieux pour la science ouverte.

Le « Plan S », qui se décline en 10 points, exige, grosso modo, la publication en accès libre de l’ensemble des manuscrits scientifiques produits avec l’argent du contribuable, ce qui revient à rendre nos publications accessibles gratuitement, facilement et immédiatement à tous, en France et ailleurs, et ceci dès le 1er janvier 2020 (Science Europe 2018).

La Société Française de Physique a souvent pris position sur les développements récents, parfois inquiétants, dans l’édition et la publication scientifique, qui semble évoluer par rebondissements. Nos prises de position s’appuient sur la Déclaration de Berlin (Déclaration de Berlin sur le Libre Accès 2003) qui insiste sur le libre accès des résultats scientifiques, et s’inscrivent dans le soutien de la Déclaration de San Francisco (Declaration on Research Assessment - DORA 2012) qui met en garde contre le « faux prestige » lié au facteur d’impact ou à l’indice h qui risque devenir prépondérant  dans l’évaluation de la recherche.

La SFP est consciente des interrogations des chercheurs et des éditeurs, et de ce fait insiste sur l’importance de la proximité entre sociétés savantes et maisons d’édition afin de maintenir la qualité scientifique des publications et d’éviter toute dérive commerciale. Les maisons d’édition accompagnent la recherche en organisant la relecture par les pairs (« Peer Review ») conduisant à une validation scientifique, qui est toujours considérée par une très large majorité de notre communauté comme une condition sine-qua non en amont de la publication scientifique, ainsi que cela a encore été vérifié lors d’une enquête réalisée par la commission et déjà présentée dans le cadre des Journées de la Matière Condensée 2018.  Les maisons d’édition apportent également leur savoir-faire professionnel dans la partie technique, pour, entre autres, la mise à disposition d’outils pour la soumission, l’archivage et l’indexation des articles.

Aujourd’hui, le paysage des publications évolue et nous devons construire un modèle équilibré et stable économiquement qui garantit la qualité scientifique tout en impliquant l’ensemble des communautés. Le Plan S est une opportunité d’avancer et le SFP soutient fortement cette initiative tout en soulignant quelques points qui méritent une attention particulière comme les modalités de financement, et la place des archives ouvertes.

 

Le financement : le Plan S propose de plafonner les APC (Article Processing Charges ) et souhaite interdire la publication dans les revues hybrides

Le développement numérique, le nombre toujours croissant de publications scientifiques, et l’augmentation constante des prix d’abonnements des revues avec des profits commerciaux au-delà de 33 % pour certains, sont à l’origine du mouvement de la science ouverte. Son but est de rendre accessible toute publication scientifique et ceci à un public le plus large possible, y compris aux entreprises. Le principe peut paraître évident, mais sa mise en œuvre fait défaut aujourd’hui. L’accès libre exige un changement profond dans la façon de financer les publications. Dans un modèle économique d’accès libre, le paiement se fait à la publication de l’article et non pas à sa lecture, comme c’est le cas des revues traditionnelles sous abonnement. Les communautés scientifiques s’opposent souvent à ce modèle car elles l’interprètent comme « auteur-payeur » et craignent de devoir payer elles-mêmes la facture de leurs publications. Dans un modèle de libre accès « institutionnel », déjà plaidé par l’Académie des Sciences (Académie des Sciences 2014) et préconisé également dans le Plan S, c’est l’agence de moyen ou l’employeur qui prendra en charge les frais de publication, en lieu et place des abonnements. Les maisons d’édition seront donc amenées à offrir un « business model » transparent et ouvert. En particulier, les revues « hybrides » (nombreuses en physique), c’est-à-dire des revues sous abonnement qui proposent à l’auteur de payer un APC pour que son article soit publié en libre accès, sont exclues par le Plan S, puisqu’elles instaurent un double paiement par les institutions (« double-dipping »).

En France, la facture des abonnements aux revues scientifiques dépasse amplement les 120 M€, soit 1500 € par article publié. C’est un prix qui est jugé « raisonnable », mais qui demande une réorientation vers un fond de « publication en accès libre ». Il faudra une volonté, voire une force politique, pour réaliser cette transition et pour qu’un « plafond » d’APC de cet ordre de grandeur soit négocié avec les maisons d’édition, puis d’exclure du système celles qui refusent. Un soutien politique top-down et de préférence multilatérale est donc indispensable pour activer le Plan S. Aujourd’hui, le Plan S ne précise pas les modalités de prise en charge du budget . Comment financer le Plan S est quand-même une des questions-clés, à résoudre avant le 1e janvier 2020.

 

La licence : le Plan S propose une publication sans embargo et avec une licence CC-BY

A part son financement déjà évoqué, le Plan S exige qu’un article scientifique soit publié sans période d’embargo, c’est-à-dire sur un site web ouvert et non-payant, accessible immédiatement. Les scientifiques ne cèderont plus les droits d’auteur, car ils resteront « propriétaires » de leurs travaux. Le contenu d’un article sera protégé par la licence Creative Commons BY (Creative Commons s.d.), permettant un usage immédiat du contenu sous condition de citer la source. La transition vers le libre accès doit être bien préparée, juridiquement, et ne plus céder les droits d’auteur est un bonus du nouveau modèle qui répond à un besoin réclamé depuis longtemps par les scientifiques. 

 

Le Peer Review : Le Plan S préconise le dépôt dans les archives ouvertes pour l’archivage à long terme et pour leur potentiel d'innovation éditoriale

Le rôle des plateformes ouvertes, pour les physiciens surtout ArXiv et INSPIRE-HEP reste à définir dans le Plan S.  Leur coexistence avec des publications est bien sûr encouragée car le dépôt d’un article dans une archive ouverte favorise son libre usage. Cependant, ces plateformes existent pour augmenter la visibilité institutionnelle ou pour disséminer les travaux préliminaires (le fameux prepint) et n’ont jamais eu la vocation de remplacer les revues scientifiques.  Les archives ouvertes ne sont pas dotées d’un processus de garantie de la qualité par relecture par les pairs (Peer Review), processus aujourd’hui organisé par les maisons d’édition. La SFP insiste sur le fait que le Peer-Review est la base essentielle et inconditionnelle du processus de publication, et ne doit faire l’objet d’aucune mise en cause. Un dépôt obligatoire sur une plateforme ouverte et gratuite peut accompagner mais en aucun cas remplacer une véritable publication, relue et « certifiée » par les pairs.

Dans ce contexte, de nombreuses revues « prédatrices » surgissent qui offrent le libre accès de votre manuscrit à un APC « attractif ». Elles perturbent l’écosystème de la publication significativement, car elles sont dotées d’un Peer Review très léger voire inexistant. Par conséquence, la création d’un répertoire général des revues « acceptables » doit accompagner le modèle de libre accès (DOAJ s.d.). Le rôle des sociétés savantes dans la validation de la qualité d’une revue est primordial.

Le plan S pourra induire un véritable changement de paradigme. Ce plan est perfectible et doit l’être, mais il a déjà le mérite de fixer un objectif correspondant à l’ouverture universelle de la science publique vers tous les acteurs de la recherche et de la société.  La SFP encourage les instances exécutives et décisionnelles, dont les organismes scientifiques comme le CNRS, le CEA, l’INSERM, l’INRA, l’INRIA, les Universités, et le Ministère de la Recherche, a appuyer la démarche. La mise en œuvre de ce plan en France devra s’effectuer de concert avec les partenaires européens, en particulier l’Allemagne et les Pays Bas, qui ont déjà pris des positions claires en la matière. Ce n’est que dans ces conditions que la transition vers le libre accès de nos publications scientifiques sera efficace, entière et rapide.

Contact : Bart van Tiggelen - Président de la Commission Publications de la SFP

avec Martina Knoop, Agnès Henri, Denis Jerome, Jean Daillant.

 

Références

Académie des Sciences. «Les nouveaux enjeux de l'édition scientifique.» juin 2014.

Creative Commons. «Licence CC BY.» s.d.

Déclaration de Berlin sur le Libre Accès. 2003.

Declaration on Research Assessment - DORA. 2012.

DOAJ. Directory of Open Access Journals.

Science Europe. «cOAlitionS for the Realisation of Full and Immediate Open Access.» 4 septembre 2018.

 

 

 

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