Lauréats du prix de Matière Condensée : le Prix Louis Ancel 2019

Le jury du prix Ancel, décerné par la division Matière Condensée de la SFP, a examiné cette année encore d’excellentes candidatures, dont deux exceptionnelles qu’il n’a pas jugé pertinent de départager tant elles sont proches en qualité.

 

A l’unanimité, le jury a émis le souhait que le prix Ancel puisse être attribué conjointement aux deux lauréats suivants : Etienne Brasselet et Denis Bartolo.

 

Etienne Brasselet
   

Etienne Brasselet est directeur de recherche CNRS au Laboratoire Ondes et Matière d’Aquitaine (LOMA) à Talence. Après une thèse en 2001 en cotutelle entre l’Université Paris Sud et l’Université Laval de Québec, suivie de deux postdocs à l’ENS de Cachan et à l’Université Laval et d’un ATER au Laboratoire de Physique de l’ENS Lyon, Etienne Brasselet a été recruté au CNRS en 2006 au LOMA, avant de devenir directeur de recherche en 2016.

Ses recherches portent sur l'interaction de la lumière avec la matière condensée, liquide ou solide. L'originalité de sa démarche consiste, entre autres, à explorer les couplages entre des singularités matérielles (défauts topologiques des cristaux liquides) et optiques (vortex de phase et de polarisation). Parmi ses travaux, l'article publié en 2009 dans PRL « Optical vortices from liquid crystal droplets » a remarquablement ouvert la voie  à de nouvelles techniques de mise en forme agiles en temps, en espace et en longueur d’onde de vortex optiques à l’aide de cristaux liquides soumis à des champs de différentes nature (électrique, magnétique, optique, acoustique, mécanique, thermique, chimique). 

Dix ans plus tard, Etienne Brasselet est toujours actif dans ce domaine et certains de ses développements récents (PRL 2018 « Multispectral management of the orbital angular momentum ») suggèrent que des dispositifs photoniques à même de mettre en forme la topologie d’impulsions ultra-brèves pourraient voir le jour. On doit également citer une autre expérience publiée en 2014 dans Nature Communications sous le titre « Optofluidic sorting of material chirality by chiral light ». Au moyen de deux faisceaux laser antiparallèles polarisés circulairement à droite et à gauche, Etienne Brasselet a proposé une expérience visant à promouvoir la séparation de molécules chirales énantiomères par voie optique, en reproduisant la fameuse expérience de Pasteur mais cette fois-ci avec des gouttes énantiomères de cristal liquide cholestérique. Une idée tout aussi originale est présentée dans l’expérience décrite dans l’article « Chiral optical Stern-Gerlach Newtonian experiment » (PRL 2019). Ici, la séparation de gouttes énantiomères est obtenue au moyen d’un seul faisceau laser possédant un gradient d’hélicité orienté perpendiculairement à la direction de propagation de la lumière. Les gouttes cholestériques se déplacent alors selon l’axe du gradient, mais dans une direction ou l’autre en fonction de leur chiralité. Cet effet présente une belle analogie avec la célèbre expérience de Stern and Gerlach réalisée avec un gradient de champ magnétique.

L’ouverture d’esprit d’Etienne Brasselet se manifeste également d’une façon spectaculaire à travers l’idée d’utiliser les défauts topologiques des cristaux liquides comme masques de phase de type vortex permettant la réalisation de nouveaux coronographes adaptatifs ou reconfigurables, alors que ces derniers sont usuellement conçus pour un usage spécifique donné. On peut mentionner une des réalisations expérimentales dans cette voie, décrite dans l’article « Multiple-star system adaptive vortex coronagraphy using a liquid crystal light valve » publié en 2017 dans PRL, qui pourrait contribuer à l’élaboration de nouveaux instruments pour la recherche d’exoplanètes.

Au final, le jury du prix Ancel est particulièrement admiratif de la démarche d’Etienne Brasselet basée sur d’ambitieuses interrogations de nature fondamentale qu’il utilise par ailleurs pour élaborer des projets innovants à l’interface de l’optique et de la science des matériaux.

 

Denis Bartolo 
        

Denis Bartolo est professeur à l’Ecole Normale Supérieure de Lyon depuis 2012.  Auparavant, après une thèse dirigée par Armand Ajdari sur les forces de Casimir dans les membranes en 2003 et un post-doctorat à l’ENS Paris avec Daniel Bonn, il a été maître de conférences de l'Université Paris Diderot au laboratoire de Physique et Mécanique des Milieux Hétérogènes à l’ESPCI. Initialement théoricien, Denis Bartolo s’est progressivement rapproché des expériences voire de problématiques industrielles en s’intéressant à l'hydrodynamique en milieu confiné.

C’est ainsi qu’il a été co-inventeur de plusieurs brevets, dont un sur la production de microcanaux par une technique astucieuse de tampons polymères. 

 

Toujours dans le domaine de la microfluidique, il a étudié la génération de trains de gouttelettes de taille contrôlable et d'ondes de choc, de même que la propulsion de micronageurs par rotation de cils magnétiques, sur lesquels il a démontré l’invalidité du théorème de Purcell ("scallop theorem") quand il y a une collection d'individus plutôt qu'un seul. Ses travaux sur le phénomène de digitation de Saffman-Taylor (PRL 2014) ont intéressé des industriels tels que Total. Denis Bartolo a étudié des suspensions de colloïdes passifs, qui peuvent être rendues homogènes grâce à des séquences palindromiques de cisaillement (phénomène que Denis Bartolo a appelé la réversibilité protégée géométriquement et publié dans Nature Communication en 2014), mais aussi actifs, avec notamment l’émergence de mouvements macroscopiques polaires de particules colloïdales mises en rotation par effet de Quincke et transformé en mouvement de translation spontané à proximité d'un substrat (Nature 2013). Il s'agit actuellement de l'expérience qui comporte le plus d'éléments mobiles et la mieux contrôlée au monde sur les systèmes actifs artificiels. Grâce à cette expérience et toujours avec des analyses théoriques astucieuses et souvent techniquement très élaborées, Denis Bartolo a apporté une vue profonde et quasiment complète sur les collections d'objets autopropulsés polaires : phase "gazeuse" globalement immobile, phase "liquide" mobile, phase "solide" immobile, réponse à des champs externes, ainsi que leurs transitions respectives. Son travail théorique sur l'hydrodynamique des systèmes de fluides actifs polaires a débouché sur un travail très original publié en 2019 dans Science sur la modélisation de mouvement de foules, basé sur l'analyse précise d'ondes de densité dans des films de marathons. On peut encore citer ses travaux sur les métamatériaux actifs avec la prédiction d'ondes protégées topologiquement comme une illustration parlante des concepts de physique statistique et de la matière condensée qu’il développe, mais aussi les fluctuations d’interface d'un système colloïdal magnétique ou l’élasticité topologique d'objets bidimensionnels non orientables.

Par son questionnement régulièrement renouvelé sur la matière active et la physique hors-équilibre dont il est devenu l’un des plus grands spécialistes du domaine,  Denis Bartolo peut être décrit comme un bel exemple de réussite "à la française" : une solide base de physique théorique associée à une bonne dose de curiosité intellectuelle, en interaction directe avec l’expérience mais aussi, parfois, avec l’art !

 

Ancien·ne·s lauréat·e·s :

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Membres du jury : 

Eric Collet, Institut de Physique de Rennes (CNRS/Université de Rennes), Lauréat du Prix Ancel 2017

Sara Ducci, Laboratoire Matériaux et Phénomènes Quantiques (CNRS/Université Paris-Diderot), Lauréate du Prix Ancel 2016

Anna Minguzzi, Laboratoire de Physique et Modélisation des Milieux Condensés, (CNRS/Université de Grenoble), Lauréate du Prix Ancel 2018

Laurent Pizzagalli, Institut Pprime, CNRS/Université de Poitiers/ISAE-ENSMA, ancien membre du bureau de la division Matière Condensée

Olivier Sandre, Laboratoire de Chimie des Polymères Organiques, CNRS/Université de Bordeaux/Bordeaux INP,  président sortant du bureau de la division Matière Condensée 

Odile Stéphan (Présidente), Laboratoire de Physique du Solide, CNRS/Université Paris-Saclay, lauréate du Prix Ancel 2012

Nathalie Viart, Institut de Physique et de Chimie des Matériaux de Strasbourg, CNRS/Université de Strasbourg

Claire Wilhelm, Laboratoire Matière et Systèmes Complexes, CNRS/Université Paris-Diderot, Lauréate du Prix Ancel 2014

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