Tribune dans Le Monde - "Le palais de la Découverte : inquiétudes et espoirs "

Tribune parue dans le journal Le Monde du 19 juin 2018 sous le titre : « La mutation du Palais de la découverte ne doit pas altérer son ADN »

 

Le Palais de la Découverte, au cœur de Paris, est un lieu unique. Mais ce n’est pas qu’un lieu, c’est aussi une démarche. Il montre la science, telle qu’elle se fait, en s’appuyant sur l’observation et la démonstration expérimentale. De profondes mutations s’annoncent, liées à la rénovation du Grand Palais. Il est essentiel qu’au cours de ce processus, cet esprit du Palais demeure.

Le Palais de la Découverte est né en 1937, d’une initiative de Jean Perrin, lauréat en 1926 du prix Nobel de physique pour la mise en évidence expérimentale de l’existence des atomes, et alors sous-secrétaire d’État à la recherche. Jean Perrin propose au public de voir « la science en train de se faire », selon son expression, à travers des démonstrations menées par des médiateurs qualifiés. Ces animations concernent essentiellement les sciences fondamentales, et nécessitent parfois la mise en place d’expériences imposantes, dont les plus emblématiques sont sans doute celles de la salle d’électrostatique, avec par exemple l’expérience des cheveux qui se dressent sur la tête.

Cette approche est, à son échelle, unique en France. Chaque jour, le Palais propose plusieurs dizaines d’exposés et d’ateliers permettant au public de découvrir, à travers des expériences scientifiques réalisées en direct par les médiateurs, des facettes des sciences fondamentales hors de portée des expositions traditionnelles. La fréquentation annuelle est de l’ordre de 500 000 visiteurs, dont 30 % de scolaires venant de toute la France, et même de Belgique et de Suisse. Pendant 80 ans, le Palais de la découverte a marqué des générations de visiteurs et souvent déclenché un intérêt, voire une vocation, pour la démarche scientifique, notamment auprès des jeunes, en éveillant leur curiosité.

Un gigantesque chantier de restauration du Grand Palais, qui abrite le Palais de la Découverte, est en cours. Il entrainera sa fermeture de 2020 à 2024 (voir « Le Grand Palais fait sa mue » dans le Monde du 12 février). Ces travaux sont l’occasion de rouvrir au public des espaces aujourd’hui condamnés faute de conformité aux normes de sécurité. Les Galeries Nationales s’étendront ainsi de 31%, et les Galeries évènementielles de 24%. Le Palais de la Découverte restera dans son périmètre actuel, déjà bien réduit au cours des dernières décennies : c’est ainsi que la surface consacrée à la science et accessible au public est passée de 11 000 m² à la fin des années 80, à 7000 m² aujourd’hui ! À chaque amputation, ce sont des thématiques qui disparaissent : on ne trouve plus par exemple de salle consacrée à l’énergie solaire ou aux semi-conducteurs. Il est regrettable que l’on n’ait pas profité du projet en cours pour restituer un peu de cet espace à la science.

Le défi que doit relever le personnel du Palais est d’envergure : créer un Palais du XXIe siècle tout en conservant ce qui fait son ADN. Le Palais 2024 doit rester un endroit qui met les citoyens en contact avec les sciences fondamentales et avec les fondamentaux des sciences. Le vecteur principal d’interaction doit rester la médiation humaine, qui s’appuiera, notamment dans les domaines des sciences expérimentales, sur des expériences réelles, encore plus nombreuses qu’aujourd’hui, tout en exploitant les technologies numériques pour améliorer encore l’expérience du visiteur. La distribution des parcours disciplinaires doit retrouver la cohérence perdue au fil des réductions de surface, tout en intégrant des espaces dédiés aux grandes questions de la science contemporaine et des salles d’activités permettant au visiteur de réaliser lui-même des expériences. Cette esquisse de ce que devrait être le Palais 2024 est détaillée dans un document proposé par les signataires de cette tribune, 24 sociétés savantes, et disponible ici.

L’avant-projet scientifique proposé par la direction d’Universcience est fidèle dans ses intentions à cette esquisse. Les signataires de cette tribune le soutiennent, en appelant à ce qu’il ait les moyens nécessaires à son ambition, ne dévie pas de ces objectifs et s’affine en concertation avec les médiateurs du Palais. Nous sommes convaincus que la vision de Jean Perrin est toujours d’actualité : montrer la science telle qu’elle se fait réellement reste l’une des meilleures façons d’illustrer la démarche scientifique. À l’heure de la post-vérité et des faits alternatifs, montrer les racines de notre savoir scientifique est plus que jamais nécessaire.

 

Signataires :

La Société Française de Physique - la Société Chimique de France - la Société Française d'Optique - l'Union des Professeurs de Physique et de Chimie (UdPPC) - l'Union des Professeurs de Classes Préparatoires Scientifiques (UPS) - la Société Mathématique de France - la Société Française du Vide - la Société Française d'Astronomie et d'Astrophysique - la Société Informatique de France - la Société de Mathématiques Appliquées et Industrielles - SMAI) - la Société Française de Statistique (SFS) - la Société Française d'Acoustique ( SFA) - l'Association Aéronautique Astronautique de France (3AF) - l' Association Française de Mécanique (AFM) - le Groupe Français des Polymères ( GFP) - la Société Française de Métallurgie et des Materiaux (SF2M) - la Société Française de Neutronique (SFN) - le Groupe Français de Céramique (GFC) - l'Association Française pour l'Intelligence Artificielle (AFIA) - la Société des Neurosciences - la Société Française d'Energie Nucléaire (SFEN) - la Société Française de Génie des Procédés (SFGP) - la Société Française de Spectroscopie de masse (SFSM) - la Fédération Française des Matériaux (FFM).

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