Jacques Friedel : homme des XXème et XXIème siècles

Complément à l'article du même titre paru dans les Reflets de la Physique, la revue de la SFP, numéro 69, juin 2021.

 

Jacques Friedel, le père de la physique des solides et de la métallurgie physique en France, aurait eu cent ans cette année. En octobre 2013 il était élevé à la dignité de grand croix de la légion d’honneur par François Hollande. A cette occasion il écrivit au Président de la République la lettre que nous reproduisons ici.

Il y évoquait la situation dans les années 1960. De nombreux jeunes récemment diplômés des Universités et des Ecoles d’ingénieurs, une société favorable à la recherche scientifique et technique débouchant sur les remarquables réalisations dans les transports et l’énergie nucléaire, un grand nombre de postes dans les organismes de recherche et les universités modernisées capables d’accueillir ces jeunes nouvellement formés.

En écrivant ces quelques lignes il y a huit ans, Jacques Friedel avait en mémoire l’époque de sortie d’un terrible conflit mondial où la reconstruction d’une recherche nationale était indispensable.

Au sortir de la guerre et de l’Ecole Polytechnique, J. Friedel aux côtés de Charles Crussard s’initie à la métallurgie physique et publie en particulier un traité sur les dislocations qui fait encore autorité dans le domaine. C’est auprès de Sir Nevill Mott que J. Friedel pour son travail de PhD à Bristol en 1952, effectue un travail théorique séminal sur les impuretés dans les métaux. L’oscillation de la densité électronique autour de l’impureté porte d’ailleurs son nom et cette recherche a été poursuivie avec ses élèves durant la décennie après son retour en France. Ces travaux constituent le fondement de la théorie quantique moderne des métaux et alliages. Dans le domaine de la métallurgie physique il y eut aussi une « école Friedel » qui a essaimé dans toute la France et a influencé durablement la recherche, aussi bien académique qu’industrielle.

Le soutien à l’enseignement et à la recherche avait permis le développement de laboratoires de recherche fondamentale capables de rivaliser avec les plus grands au niveau international. Ce fut le cas dès 1960 du laboratoire de Physique des Solides crée par le trio Guinier, Friedel, Castaing à l’Université Paris-Sud, Orsay et qui allait devenir en 1966 le premier laboratoire en physique associé au CNRS. J. Friedel a très largement contribué à l’ouverture thématique de ce laboratoire qui après 61 années d’existence, deux prix Nobel, quatre médailles d’or CNRS et une dizaine d’Académiciens des Sciences a réussi à garder sa notoriété internationale.

Fort d’une autorité scientifique incontestée, J. Friedel s’est très tôt investi au service de la société dans des fonctions de conseiller auprès de plusieurs gouvernements et en tant que président du Comité Consultatif pour la Recherche Scientifique et Technique de 1978 à 1981. Le livre blanc sur la recherche en 1980 rédigé par le « comité des sages » auprès de Raymond Barre, dont il assurait la présidence, reste une leçon de lucidité et de pragmatisme qui gagnerait à être relue.

Il était aussi un européen convaincu et avait participé à la création en 1970 de la Société Européenne de Physique dont il assura la présidence de 1982 à 1984. C’est aussi lors de sa présidence de la Société Française de Physique en 1970 qu’il créa la Commission des Publications de la SFP afin de promouvoir les publications françaises et soutenir les Editions de Physique. Le renouveau de l’Académie des Sciences lui tenait à coeur, il en assuma la présidence de 1992 à 1994 au pied levé après le décès de Jean Hamburger.

Il nous rappelle en quelques lignes, avec la précision et la sobriété qui étaient les siennes, les grands défis du XXIème siècle que sont la croissance rapide de la population des pays en développement et la réflexion sur la place du nucléaire dans le cadre du manque d’énergie et du respect de l’environnement. Le caractère prophétique de la note de J. Friedel est d’autant plus remarquable qu’au cours de ces huit dernières années les problèmes qu’il mentionnait ont émergé au premier plan de nos préoccupations sans compter l’arrivée soudaine de la pandémie. Jacques Friedel croyait au génie français. Prenons le au mot et mettons ce génie au service de la science pour aider à surmonter ces innombrable défis qui nous attendent !

Denis Jérome et Yves Bréchet, membres de l’Académie des sciences

 

© J.-F. Dars et A. Papillault. 

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